Immobilier de montagne : les enjeux du territoire pyréneen
Publié le 1 septembre 2025
Julien Nespola et Jérôme Eicholz, Directeurs Lamotte pour les régions Occitanie et AURA, ont récemment livré leur analyse des territoires de montagne. Le besoin de se réinviter et de travailler en concertation avec les pouvoirs publics a été constaté, afin de répondre aux différents défis identifiés. Pour compléter leurs propos, nous avons souhaité échanger avec des membres de l’ARAC Occitanie : Stéphane Leroy-Therville et Christine Massoure. Un entretien réalisé à distance le 24 juillet.
Sommaire :
- Économie : les défis du territoire pyrénéen
- Les leviers d’attractivité dans les Pyrénées
- De nouvelles activités pour changer le modèle économique
- L’état des lieux du marché immobilier local
- Le maintien d’un habitat accessible aux résidents
- Un travail à mener avec les autres acteurs du territoire
- Zoom sur le bail réel solidaire (BRS)
- Quels projets d’aménagement global ?
- Les missions de l’ARAC Occitanie
- Les solutions aux problématiques du territoire
Quels sont les défis liés à l’aménagement et au développement du territoire pyrénéen ?
Christine Massoure, spécialiste des questions touristiques et des stations de montagne au sein de l’ARAC (Agence Régionale d’Aménagement et de Construction) en Occitanie : « L’enjeu est de passer d’une économie qui reste très centrée sur l’hiver et le ski à une économie plus équilibrée. Et cela, même si historiquement, les Pyrénées ont toujours eu du tourisme en dehors de l’hiver. Il faut donc embarquer l’ensemble du territoire pour adapter l’offre et l’urbain. La difficulté aujourd’hui, c’est que l’on connaît la logique, mais pas forcément les moyens de recréer une économie pérenne, durable. Et les exemples de réussite ne sont pas légion. »
« La montagne est constituée d’écosystèmes, où tous les acteurs sont interdépendants. Par exemple, même l’agriculteur a besoin du tourisme pour vivre. Les artisans sont aussi présents pour répondre à une commande qui n’est pas que locale. »
« Une autre difficulté est que nous ne sommes plus sur les mêmes échelons territoriaux. Les touristes qui viennent pour le ski sont ‘captifs’ et restent en station. Quand les visiteurs viennent pour ‘pratiquer’ la montagne, ils sont beaucoup plus mobiles. Ces territoires doivent être appréhendés davantage en lien avec la mobilité de proximité, plutôt que sur un produit structurant comme le ski. »
Stéphane Leroy-Therville, Responsable Tourisme et Thermalisme pour l’ARAC Occitanie, et Animateur de la Foncière des Pyrénées : « Les Pyrénées sont très fréquentés au printemps, en été et en automne. Par exemple, la saison du thermalisme – activité historique dans les Pyrénées, bien avant le ski – va de mars à octobre-novembre. Le Pic du Midi, site emblématique des Pyrénées, voit son pic d’activités en été. Il y a bien une clientèle en dehors de l’hiver, même si les retombées locales sont plus fortes lorsque la neige est présente. »
« Quand on pense l’aménagement, on se projette du moyen – long terme et nous sommes encore parfois confrontés à des raisonnements plutôt orientés hiver. Malgré une meilleure compréhension de l’impact des changements climatiques à venir, on ne sent pas encore complètement cette bascule du côté des décideurs locaux. »
Christine Massoure : « Le modèle économique de ce tourisme nouveau, adapté, est encore difficile à percevoir. C’est donc tout à fait normal que les décideurs locaux, qui sont souvent engagés financièrement sur des aménagements ‘hiver’, soient plutôt frileux et se disent : « Tant que ça peut durer, c’est bien.« »
Quels sont les leviers d’attractivité mis en avant par les stations et communes des Pyrénées ?
Christine Massoure : « Le produit phare des Pyrénées reste la randonnée, que ce soit en voiture, à moto, ou à vélo. Beaucoup de gens viennent pour faire les cols pyrénéens et il les font en voiture. Bien sûr, le vélo, sous toutes ses formes – vélo de route, vélo de randonnée, VAE (vélo à assistance électrique) – a ouvert le champ des possibles de manière extrêmement importante. Tout comme le thermalisme, le vélo, c’est surtout du printemps à l’automne. »
« Voici tout ce qui fait l’attractivité d’un territoire : un établissement de bien-être, des activités ludiques. Tous ces services vont faire choisir tel endroit plutôt que tel autre, mais je dirais que le client s’est déjà projeté en amont sur une destination de montagne et souvent dans les Pyrénées. »
Que font les communes en vallée ou les stations pour compléter leur offre d’activités et faire évoluer leur modèle ?
Christine Massoure : « Les domaines skiables viennent intégrer un certain nombre d’activités ludiques, pour faire évoluer leur modèle économique vers ce qui sera peut-être le futur. Le thermalisme, on en a parlé. Il y a quelques opérateurs privés qui font des activités. Mais quand on regarde franchement, 8 clients sur 10 vont venir parce que c’est la montagne, parce qu’il ne fait pas chaud, parce qu’on peut se balader et passer du bon temps en famille. La montagne, c’est un peu comme la mer. »
« Auparavant, nous avions un produit très structurant tel que peut l’être le ski. Et c’est bien d’ailleurs là le problème de la mutation. L’économie de la montagne doit aujourd’hui continuer de garantir des retombées sur le territoire. »
Quel est votre état des lieux du marché immobilier local ?
Christine Massoure : « Le regard porté sur l’hiver est plutôt celui des décideurs. Par contre, les transactions immobilières se font dans une perspective d’utilisation soit à l’année soit en multi-saison. Il y a énormément de monde aujourd’hui sur les territoires et il y aura énormément de monde au moins jusqu’à fin septembre. »
« La fréquentation et l’appétence des acquéreurs n’est pas centrée sur l’hiver. Il y a une espèce de distorsion entre la vision des acteurs locaux et celle des clients du massif. »
Stéphane Leroy-Therville : « Nous avons des territoires assez contrastés. Sur certains territoires, le taux de résidences secondaires ou de résidences pour de la location privée est très important, à plus de 80%. Ce système a été très encouragé à une époque et on en voit largement les limites aujourd’hui. »
« Prenons l’exemple de Saint-Lary-Soulan, il y a environ 800 habitants permanents, mais une capacité d’accueil de 20 000 personnes avec des prix qui ont fortement augmenté ces dernières années, atteignant parfois ceux de l’agglomération toulousaine. Et les prix pratiqués à Saint-Lary font tache d’huile sur les communes alentours, ce qui engendre une situation très difficile pour l’habitat permanent ou l’habitat saisonnier. Cette tendance, que certains veulent ‘combattre‘, continue malgré tout. »
Christine Massoure : « L’évolution récente vient du fait que le permanent ou le saisonnier descendait plus bas dans la vallée pour trouver des biens plus dans ses moyens. Or, aujourd’hui, l’activité n’étant plus centrée sur l’hiver, finalement, ses biens en vallée connaissent aussi un attrait pour les résidences secondaires. »
« Donc si on prend la vallée d’Aure, des endroits comme Sarrancolin et Arreau sont très prisés pour investir en résidence secondaire. Le sujet de l’habitat permanent ou de l’habitat saisonnier est un sujet très compliqué. »
Y a-t-il des initiatives spécifiques pour maintenir un habitat accessible aux résidents permanents ou saisonniers ?
Stéphane Leroy-Therville : « Le sujet de l’habitat permanent ou saisonnier est dans les toutes préoccupations des élus locaux. C’est un sujet qui concerne aussi les exploitants. Quand on discute avec eux, pour les intéresser à nos opérations, l’une des premières questions est : « Où est-ce que je vais loger mes saisonniers ? » Et ensuite : « Est-ce que je vais les loger dignement ?« »
Christine Massoure : « Il y a des initiatives de la part des collectivités. À Cauterets, un hôtel a été acheté afin de créer une dizaine d’appartements pour les saisonniers. Ils ont fait un programme d’accession à la propriété. Mais cela reste à la marge. »
« L’enjeu est énorme pour les destinations parce qu’à partir du moment où il y a moins d’habitats permanents et que les saisonniers ne peuvent pas rester, les services disparaissent. Et donc l’attractivité globale de la zone, y compris pour le tourisme, faiblit. »
Stéphane Leroy-Therville : « Dans cette approche ‘écosystème’, il y a un champ d’investigation à creuser. On voit par exemple des collectivités qui essaient d’utiliser le bail réel solidaire pour pouvoir maîtriser le foncier et la future destination à long terme. Il y a des outils qui commencent à se mettre en place, qui ne sont pas très connus ou très utilisés. »
« Si nous arrivons à trouver un système et des modèles qui fonctionnent, dans l’organisation et dans la mobilisation, et qui sont soutenables financièrement, ils auront forcément une capacité de déploiement très intéressante. »
Vous avez parlé de la migration des habitants dans les vallées. Travaillez-vous en partenariat avec d’autres acteurs de l’immobilier ?
Stéphane Leroy-Therville : « Si on prend la Foncière des Pyrénées en particulier, son sujet, c’est l’immobilier touristique, sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées (en dehors de l’autre côté de la frontière espagnole) : hôtels, résidences de tourisme, auberges de jeunesse. Nous sommes plutôt sur l’offre touristique. Nos statuts, et c’est écrit dedans, ne portent pas sur l’habitat permanent. »
« Néanmoins, j’étais encore hier en discussion avec une collectivité dans la vallée d’Aure, pour essayer de sortir un programme qui s’oriente vers de l’habitat permanent et/ou du saisonnier. On s’aperçoit qu’il y a d’autres acteurs à mobiliser, qui ne sont pas forcément bien connus. Par exemple, l’Établissement public foncier régional peut être mobilisé avec des modalités d’intervention particulières sur le logement social, ce qui permet en partie d’équilibrer les opérations. »
« Mais ces opérateurs-là (comme l’EPF) ne sont pas toujours bien connus des acteurs locaux. Ces derniers n’utilisent donc pas toutes les capacités d’intervention à leur disposition. »
Vous avez mentionné le dispositif du bail réel solidaire (BRS). Dans quelle(s) commune(s) est-il déployé ?
Stéphane Leroy-Therville : « À Saint-Lary, la commune développe un programme d’accession sociale à la propriété. S’il voit le jour, il va s’appuyer sur le BRS. Et d’autres acteurs et territoires sont en train d’y réfléchir, même si le fonctionnement du BRS n’est pas toujours bien maîtrisé. »
Avez-vous des exemples de projet d’aménagement global pour faciliter l’accès aux services ou revitaliser les centres-bourgs ?
Christine Massoure : « Oui, sur toutes les zones, il y a des réflexions de ce type qui sont en cours, autour de maisons de santé, de tiers-lieux. Le territoire commence à être bien doté en équipements. »
Stéphane Leroy-Therville : « L’ARAC est impliquée dans plusieurs programmes d’aménagement et de renouvellement urbain dans les Pyrénées (La Mongie / Bagnères-de-Bigorre, Font Romeu). Nous intervenons dans le cadre de concessions d’aménagement, ce qui permet de définir un programme d’intervention à 10/15 ans et de le faire porter techniquement et financièrement par l’aménageur (en l’occurrence la SPL ARAC). C’est un dispositif très intéressant pour passer d’une logique de projets menés au cas par cas à une logique d’ensemble. Le sujet opérationnel peut ainsi être pris en charge par les acteurs qui sont en compétence pour ça, tout en respectant le rôle de pilotage et de décision de la collectivité. »
Christine Massoure : « Les EPCI (établissement public de coopération intercommunale), qui auraient dû donner ce cap, ont aujourd’hui beaucoup de mal à faire entendre leur voix. La plupart des communes de montagne ont repris l’ensemble de leurs compétences, puisqu’elles sont ‘station classée’. Une vision globale du territoire serait nécessaire mais ce n’est pas dans l’air du temps. »
Quelles sont les missions de l’ARAC en Occitanie ?
Stéphane Leroy-Therville : « Nous sommes un acteur de l’économie mixte et couvrons tout le territoire de l’Occitanie. Nous accompagnons différents acteurs publics ou privés en ingénierie, en promotion, en aménagement voire dans un rôle d’investisseur. »
« Nous intervenons lorsque l’on trouve un équilibre économique à une opération, parfois avec de l’aide publique, ou alors au titre d’un mandat, en maitrise d’ouvrage déléguée. »
« Selon le territoire, le contexte, les acteurs, les partenaires, nous pouvons mobiliser différents types d’outils au sein des structures qui composent l’ARAC. »
Pour conclure, que faudrait-il pour répondre aux problématiques du territoire ?
Christine Massoure : « Ce qui est sûr, c’est qu’il faut trouver des solutions pour l’habitat permanent. Aujourd’hui, ces vallées se vident. Elles deviennent des dortoirs. Comme je vous le disais, les conséquences sur les services commencent à se faire sentir. »
« Il y a des stations de taille moyenne où il n’y a plus de médecin, où il n’y a plus de pharmacie. Nous touchons les limites de l’accueil, y compris de tourisme. »
« Pour moi, ce sujet d’habitat permanent et saisonnier doit impérativement être traité. Il faut bâtir une vision partagée, à l’échelon de la commune certes, mais aussi à l’échelon économique pertinent. Sachant que souvent ce sont des collectivités de toute petite taille. »
Stéphane Leroy-Therville : « Des collectivités dont les moyens sont limités. Il faut reconnaître que la pénurie d’argent public à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui freine énormément les opérations. Il y a eu plutôt une habitude d’être soutenu fortement, avec des taux d’aide parfois jusqu’à 80%. On est passé dans un monde complètement différent. En raison de cette bascule, les décideurs ont le pied sur le frein. »
Christine Massoure : « Cette transformation doit s’appuyer sur l’initiative privée. Les collectivités sont pour la plupart tellement engagées (financièrement), y compris sur les stations de ski, qu’il faut trouver d’autres moyens, d’autres façons d’agir. »
Stéphane Leroy-Therville : « Oui, nous sommes un acteur de l’économie mixte, notre rôle est de combiner l’intérêt général avec une logique économique, et les partenaires privés sont les bienvenus dans nos opérations ! »